Passionné d'aventures en montagne depuis mon plus jeune âge, je vous propose de découvrir ce site internet dédié à mes périples en altitude. Vous y trouverez les récits, photos, et vidéos de toutes les ascensions que j'ai réalisées à ce jour dans le monde entier.
ARARAT (5165 m) - Versant ouest
Septembre 2015 - Anatolie, Turquie
Jour 1 : Mission infiltration
Récit de l'expédition
Galerie photos
Le mont Ararat, culminant à 5165 mètres d'altitude, est le sommet le plus élevé de Turquie. Ce stratovolcan endormi, aux neiges éternelles, se situe sur un haut-plateau à l'extrême est du pays, en Anatolie orientale. Le sommet est situé à 15 km de l'Iran, et à 60 km d'Erevan, la capitale arménienne. La montagne est composée en réalité de deux sommets bien distincts, le Grand Ararat et le Petit Ararat (3925 m), et fut vaincue pour la première fois en 1829 par Friedrich Parrot, un médecin russe.
Le nom Ararat apparaît pour la première fois dans la Bible. En effet le livre de la Genèse évoque une chaîne de montagnes où se serait posée l'arche de Noé après le Déluge, dans le royaume d'Ararat. Cette légende a été à l'origine de ce qu'on a appelé "l'anomalie d'Ararat", une forme non identifiée apparaissant sur quelques photographies des étendues enneigées près du sommet, et objet de fantasmes bibliques.
Le climat de la région est rigoureux mais les précipitations sont peu importantes. La partie inférieure de la montagne est soumise à des vents secs venus de la plaine de l'Araxe, si bien que la région est une des plus arides du pays. En raison de l'agitation politique au Kurdistan turc, la région de l'Ararat a régulièrement été militarisée.
Après avoir entrepris avec succès deux ascensions, celle de l'Elbrouz en 2013, puis celle du Demavend l'année suivante, j'ai vraiment à cœur de compléter le tryptique de renom des "5000" du Proche-Orient. Il ne me reste pour cela qu'à ajouter à mon palmarès l'Ararat, ce grand volcan englacé situé à l'extrême est de la Turquie. Point culminant du pays, et sanctuaire de nombreux mythes, la montagne s'élève sur le haut-plateau anatolien, près de la ville de Dogubeyazit.
L'Ararat vu depuis Dogubeyazit
Une navette me mène dans le centre de Van. Je découvre la ville quelques instants puis je monte dans un autre bus et prend la direction du nord. La route longe tout d'abord le lac de Van, grand comme 7 fois le Léman. De l'autre côté de celui-ci s'élève le Süphan Dagi, un joli volcan culminant à plus de 4000 mètres. Plus loin nous passons près du volcan bouclier de Tendürek Dagi. L'asphalte se fraye un chemin étonnant à travers de monstrueuses coulées de lave. Nous franchissons un col et découvrons enfin l'Ararat, coiffé de ses neiges éternelles qui constrastent avec les étendues arides de l'Anatolie. Perdant doucement de l'altitude, le véhicule nous conduit jusqu'à Dogubeyazit.
Je me prépare pour cette première journée d'approche. Mon sac pèse 22 kilos, un poids non négligeable. Outre l'effort physique intense qu'il va falloir produire, je vais aussi devoir composer avec un autre élément : la montagne est interdite. A ceux qui souhaitent tenter l'ascension, le gouvernement turc impose l'achat d'un permis et l'accompagnement de guides locaux. Tout cela a un coût bien sûr, ce qui à mon sens est fâcheux compte tenu du fait que cette ascension ne présente aucune difficulté technique. Je passe donc outre la règle, et doublement même, car actuellement aucun civil n’est autorisé par les autorités à pénétrer dans le secteur, déclaré "zone provisoire de sécurité militaire". Je vais devoir me fondre dans le décor. Opération : infiltration.
Eclairage divin au premier bivouac, en soirée
J'atteins ainsi, plusieurs heures plus tard, un plateau herbeux situé à 2600 mètres d'altitude. Parfait pour établir mon premier camp. Les forces me manquent aujourd'hui, et puis de toute manière le soleil est déjà bas sur l'horizon. J'installe donc mon bivouac près des ruines d'une ancienne bergerie et je profite en soirée d'un magnifique éclairage sur l'Ararat et ses environs.
Jour 2 : Phase d'approche, deuxième acte
Je prends donc la montagne plein fer. La montée est parfois pénible, hors sentier, sur des moraines instables. Le végétal laisse place au minéral. Je traverse des champs de roches volcaniques. Le terrain est chaotique, et c'est peu dire ! J'accède enfin à un point d'eau, ce qui me permet de m'hydrater et de remplir ma gourde. Un peu plus haut, à 3960 mètres exactement, je déniche un emplacement exigu et je décide d'y poser mon second bivouac.
Jour 3 : Ascension du Mont Ararat (5165 m)
J'ai à peine fermé l'œil. Le sol caillouteux et de légères chutes de neige sont venus troubler un sommeil déjà léger. Ce matin il fait particulièrement froid et je me secoue pour me réchauffer. Dans ces cas-là il faut vite se mettre en marche ! Alors à 5h45, les membres engourdis et le ventre vide, je lance mon "summit push".
L'ombre de l'Ararat s'étendant sur la Turquie
Au-dessus de moi je distingue nettement une barre de séracs. Celle-ci n'est pas menaçante, mais je dois la contourner par la gauche. C'est ainsi que je débouche à 4700 mètres d'altitude sur le plateau glaciaire occidental. Qu'il est appréciable de sentir les rayons chauds du soleil frapper mon visage ! L'ambiance vient de changer du tout au tout : après une montée sinistre et glaciale, me voilà baignant dans un bain de lumière !
Je mange un morceau pour attaquer au mieux la suite du parcours. Il n'y a aucune trace sur le glacier, je vais devoir dessiner mon itinéraire au feeling. Heureusement ce glacier ne présente aucun danger, il n'est pas crevassé et les pentes sont douces. Je prends la direction du dôme étincelant qui me domine. Je pensais que ce serait l'affaire de quelques minutes, mais j'avais tort ! La distance est vraiment trompeuse et finalement, ce n'est qu'après une longue heure d'effort que j'atteins une antécime, à un peu plus de 5000 mètres. Pour la première fois le véritable sommet est visible. Il est là, tout proche, il ne me reste qu'à porter l'estocade finale.
Au sommet de l'Ararat !
Je m'allonge et m'offre une sieste mémorable, bien au-dessus des tourments de notre monde.
Une fois sorti du glacier je me lance dans un très long retour. Le terrain instable oblige à la prudence et ne permet pas de descendre rapidement. Je récupère mes affaires laissées au bivouac et j'enchaîne, ne désirant pas passer une seconde nuit ici. C'est à mon premier camp, bien plus confortable, que je reviens tranquillement, après une journée bien remplie de 12 heures de marche. J'ai à peine le temps de me glisser dans mon duvet que déjà la fatigue l'emporte, et je tombe dans les bras de Morphée.
Mission accomplie !
Jour 4 : Retour à Dogubeyazit
Je me place en bord de route et je fais du stop. Vingt minutes plus tard je suis récupéré par un minibus. Lequel me dépose à Dogubeyazit, où je trouve un hôtel. J'ai des courbatures un peu partout, l'Ararat m'a véritablement "cassé" et je vais avoir besoin de quelques jours de repos pour récupérer.
Toutefois le repos sera de courte durée, car une autre aventure m'attend... En effet, dès le lendemain, je retourne à Van et prends l'avion direction Istanbul, puis Tbilissi, la capitale de la Géorgie. La seconde partie du périple commence, avec au programme l'ascension du Kazbek, montagne réputée du Caucase !
Après une halte à Izmir je débarque à l'aéroport de Van, par une radieuse journée de septembre. La quiétude semble régner mais elle est trompeuse, car la région est particulièrement sous surveillance en ce moment. Il faut dire qu'aux habituelles tensions frontalières (l'Iran, l'Irak et l'Arménie ne sont qu'à quelques kilomètres) viennent s'ajouter les complications causées par la Syrie, toute proche elle aussi. Réfugiés, attentats, frappes aériennes... Actuellement le conflit bat son plein. Et n'oublions pas une autre donnée : nous sommes ici en territoire kurde... Autant dire que la situation géopolitique est des plus compliquées, et ce n'est sans doute pas le meilleur moment pour parcourir la région. J'ai donc l'intention de me faire discret...
On est bien loin des cités touristiques de la côte méditerranéenne. La vie est bien plus dure ici, c'est palpable. Je ne suis pas vraiment à l'aise en me baladant dans les rues, j'ai le sentiment d'être une proie facile, mais il faut que je m'arrête dans quelques échoppes pour acheter des vivres. Ceci fait je monte à nouveau dans un mini-bus. Nous prenons maintenant la direction d'Igdir, une ville située un peu plus au nord. Mais rendu à mi-chemin, au niveau du col de Cilli, je demande (laborieusement) au conducteur de s'arrêter. Laissez-moi là, au milieu de nulle part, car c'est ici que mon ascension débute ! Je suis alors à 1700 mètres d'altitude. L'Ararat, avec ses flancs tentaculaires s'élève à l'est, 3500 mètres plus haut. Autant dire que jamais un sommet ne me parut si lointain !
Je commence par traverser à grandes enjambées une vaste plaine où se trouvent quelques troupeaux. Je passe en vitesse pour ne pas éveiller l'attention des bergers locaux et de leurs chiens. L'endroit a des airs de far-west. Le soleil est écrasant, il brûle toute forme de vie. Aucune végétation hormis quelques herbes grillées. Après un quart d'heure en plein désert, je ne suis pas fâché de prendre enfin un peu de hauteur en pénétrant dans un talweg. Me voilà couvert par les reliefs du terrain. Je vais alors pouvoir m'élever discrètement, dissimulé aux yeux de tous.
J'ai l'impression que mon sac pèse une tonne. Avec une telle charge je sollicite vigoureusement mes épaules et je m'épuise vite. Par conséquent je dois multiplier les arrêts pour soulager mon dos et souffler un peu. Je me force à monter de cinquante mètres de dénivelé avant de m'offrir une pause.
J'ouvre les yeux en milieu de matinée. Et j'ai la désagréable surprise de découvrir que je ne suis pas seul : à un petit mètre de moi, une vipère ! Je fais un bond en arrière, ce qui fait fuir l'animal. Voilà un réveil qui glace le sang ! Sans tarder je plie mes affaires, en laissant ici une partie de mon matériel. Certaines choses sont en effet superflues, et je tiens à être le plus léger possible aujourd'hui pour ne pas souffrir comme la veille. Une fois le tri effectué je boucle mon sac et je me mets en route.
Je commence par traverser un plateau puis je remonte une petite combe. Il y a ça et là quelques bergeries, perdues au milieu des pâturages. Le terrain est peu pentu et je peine à gagner de l'altitude. Pour le moment l'ascension ne se résume qu'à de vastes étendues. Tout est question de distance et de patience. La phase d'approche n'est pas terminée et à vrai dire je n'en vois pas le bout. Je prends alors la mesure de l'immensité de cette montagne.
Après être passé près d'une jolie arche naturelle, j'atteins un plateau, encore un ! Mais ce sera le dernier car ici, à une altitude de 3200 mètres, la pente commence réellement à se redresser. Je dois alors faire un choix difficile : tirer sur ma droite pour rallier la voie normale, ou prendre tout droit et dessiner mon propre tracé. Car dans ce versant occidental il semble y avoir une possibilité de passage. Cette dernière alternative l'emporte, car j'y trouverai à coup sûr un point d'eau, ce qui devient vital.
Je tire dans un premier temps sur ma gauche, pour passer sous un ressaut rocheux à la couleur jaunâtre. Aux pentes d'éboulis succèdent les pentes d'éboulis. D'entrée le ton est donné ! Comme vous vous en doutez je n'y prends guère de plaisir, mais à vrai dire la perspective d'atteindre le sommet me donne toujours la motivation nécessaire pour surmonter les obstacles les plus laborieux.
Je rejoins ainsi un petit col à 4100 mètres, où se trouve un emplacement de bivouac parfait. Mince, si j'avais su, j'aurais poursuivi mon effort la veille et dormi confortablement ici... Bref, de ce point la suite du parcours est évidente et logique : il faut remonter une immense pente rocailleuse qui se redresse progressivement jusqu'au glacier. Le terrain, instable et pénible, me contraint à une véritable gymnastique car il faut parfois s'aider des mains. Dans mon dos l'ombre pyramidale de l'Ararat s'étend sur la Turquie. Le soleil embrase la plaine. Quant à moi je suis dans un frigo. Je reste constamment en mouvement car la température est polaire.
Notez que c'est à cet endroit, à l'extrémité nord-ouest de la calotte de glace, qu'a été observée "l'anomalie d'Ararat", un objet non identifié apparaissant sur des photographies prises au cours du 20ème siècle. Quelques littéralistes bibliques avaient alors avancé qu'il pourrait s'agir des vestiges de l'arche de Noé, échouée sur cette montagne selon la Bible. Bien entendu depuis, des recherches scientifiques ont mis à mal cette croyance. Chers évangéliques, vous aurez beau chercher pendant des siècles, il n'y a ici que glace et rocher ! Mais passons, il est désormais temps de chausser les crampons.
Je rejoins en ce point la voie normale qui provient du versant sud et, impatient de conclure, je dévore à toute allure la pente terminale. L'altitude se fait sentir, nullement acclimaté que je suis, mais la vision du signal sommital me donne des ailes. Les derniers mètres sont un véritable bonheur et je me hisse sans problème sur la cime du Mont Ararat (5165 m) ! La récompense de trois jours d'efforts !
Il fait bon. Le soleil donne et le vent est tout à fait supportable. Seul sur cette montagne mythique, je profite longuement du panorama. Une vue somme toute assez limitée car l'Ararat est tellement haut et isolé que l'on domine bien trop le paysage. La ville de Dogubeyazit est à peine visible, 3500 mètres plus bas, empêtrée qu'elle est dans la brume de chaleur qui recouvre la plaine ! Au sud s'élève le volcan bouclier de Tendürek Dagi. A l'ouest c'est la Turquie, aride et aux reliefs désertiques, qui s'étend sur plus de 1000 kilomètres. Côté nord l'Arménie et sa capitale Erevan, ainsi que la Géorgie un peu plus loin. Par horizon dégagé il semblerait qu'on peut même observer, dans le lointain, les reliefs enneigés du Caucase. Enfin, à l'est, derrière le Petit Ararat, c'est l'Iran, un pays que j'ai arpenté l'été dernier.
Il est maintenant temps de revenir sur mes pas. La descente du glacier est rapide et efficace. Un glacier qui, malheureusement, est amené à disparaître à court terme sous l'effet désastreux du réchauffement climatique. Il a perdu 30% de sa superficie en l'espace de 30 ans... L'Ararat est en constante évolution. Les mouvements tectoniques profonds de cette région expliquent la forte sismicité ainsi que l'activité volcanique de la montagne, la dernière éruption remontant à 1840.
Encore lessivé par les efforts de la veille, je rassemble toutes mes affaires et j'entame le retour à la civilisation. La descente est plutôt rapide et puis, malgré la douleur, elle est toujours plus agréable lorsqu'on a le sentiment du devoir accompli. Je traverse les pâturages puis à nouveau la vaste plaine pour regagner le col de Cilli. Je me retourne et observe l'Ararat quelques instants, non sans une certaine fierté. Qu'il est loin !
Finalement je n'aurais pas rencontré le moindre être humain pendant ces 4 jours. Ma foi c'est tant mieux, puisque je n'avais absolument pas le droit d'être là ! Je n'aurais pas aimé croiser la route de quelques militants armés du PKK, par exemple... Bref, me voilà soulagé.